Le 27 avril 1960 est une date historique gravée à jamais dans la mémoire du peuple togolais en général et celui de la préfecture de la Kozah en particulier. A cette date, le Togo accédait à la souveraineté internationale, à l’instar de beaucoup d’autres nations africaines. Bref le 27 avril 1960, le Togo a acquis son indépendance politique. L’Agence Togolaise de Presse (ATOP) reprend pour ses lecteurs les témoignages de certains citoyens ayant vécu ce premier jour de l’indépendance du Togo sur la manière dont la population de la préfecture de la Kozah, jadis appelée Lama-Kara avait accueilli cette libération politique.
Témoignages
Le chef canton de Landa, Hèyou Wella, septuagénaire et fonctionnaire admis à la retraite, raconte : « La population de Lama-Kara avait favorablement accueilli ce premier jour de la libération politique de notre pays le Togo. Humm c’était vraiment une journée d’immense joie, d’allégresse et de réjouissance totales que l’on pouvait voir sur le visage des hommes et femmes de Lama-Kara ». Cette joie, explique-t-il, est le fruit de la résistance de la population de la cité des monts kabyè contre les envahisseurs blancs qui avaient engendré une sorte de privation de liberté lors de la constitution du territoire.
M. Hèyou Wella précise que le peuple Kabyè voulait mettre fin à l’occupation et à la domination du colon et rompre à tout prix avec les luttes d’hégémonie, les règlements de compte, les divisions, les intérêts personnels, l’injustice occasionnés par ces colonisateurs. Ceci pour assoir un véritable creuset et fondre les forces des fils et filles de ce peuple kabyè pour construire leur territoire. « Je vous fait savoir que la population de Lama-Kara dans le temps pensait déjà, à cette journée dès les premiers jours d’annonce de la libération totale au regard de nombreuses pétitions reçues et des incidents de Pya Hodo dont certains de nos frères ont sacrifié leurs vies lors de cette bataille. C’était également un ouf de soulagement pour les femmes qui espéraient voir le retour de leurs maris enlevés de force pour les travaux forcés », renchérit M. Wella.
Pour M. N’dakpazi Batomlè, enseignant d’histoire et géographie à la retraite, aux vues des contraintes imposées par les colonisateurs (Allemand, Anglais et Français), la population de la Lama-Kara croyait désormais à un vent de liberté qui augure à l’espérance de la prospérité (économique, d’expression, gestion autonome et autosuffisance). « En tout cas, après la proclamation de l’indépendance, les couches socio-professionnelles de Lama-Kara avaient fait table-rase de leurs impératifs conduisant vers la désunion pour fusionner leur espoir sur une prospérité future, malgré leur divergence de point de vue », a-t-il confié.
Mme Tchona Somiéalo, âgée de plus de soixante-dix ans et ménagère à Lama, dit qu’: « A l’époque on organisait des mouvements d’ensemble pour exprimer la volonté de mettre fin à l’occupation des blancs. Ces mouvements d’ensemble initiés çà et là, démontraient la joie et la fierté de la population de Lama-Kara d’être sortie du joug des colons ». Elle ajoute : « Et enfin, ‘ablodé ablodé gbadjà’ (liberté, liberté totale), nous sommes libérés de l’oppression du blanc, nous pourrons nous gérer nous-mêmes, nous ne comptons plus sur l’aide des colons et c’est ce que je me disais intérieurement ».
M. Pidaré Tchaou, chef du village de Pouliou, affirme qu’il avait à l’époque moins de 10 ans « mais je me souviens que mon papa et ses frères manifestaient leur joie après avoir écouté à la radio, la proclamation de l’indépendance par feu Sylvanus Olympio, président d’alors ». Ils se rendaient souligne-t-il dans la cour du chef suprême des Kabyè, Wiyao Kpelinga qui habitait le quartier situé à l’entrée sud de la rivière Lim-Kara, devenu Kara-Sud aujourd’hui pour converger vers le bureau du commandant du cercle à « Téloudè » pour des manifestations. Aujourd’hui cette zone est occupée par la direction régionale de l’agriculture, le palais des congrès de Kara, le CHU Kara et le collège d’enseignement général qui garde toujours le nom « Téloudè». « Là, la population enthousiasmée assiste à la montée des couleurs et certains fredonnaient l’hymne national ‘’Terre de nos aïeux’’ pour montrer leur appartenance à la patrie qui est enfin libre » indique M. Pidaré. « Je me souviens encore quand j’étais au cours primaire, nos aînés, dès le matin du jour d’indépendance, se rendaient en ce lieu pour marcher aux pas au rythme des tambours et des chansons. Juste après le défilé, divers jeux sportifs étaient organisés dans l’après-midi dans mon établissement EPP Kpandida », a renchéri M. Pidaré.
Ce sentiment d’appartenance à une nation libre est-il d’actualité dans la Kozah ?
M. Kpayou Jérémie, sociologue de formation se prononce, après 63 ans de libération du joug colonial, la population de la Kozah ne regrette pas d’avoir été indépendante car jusqu’à ce jour, personne n’a remis en cause cette libération politique. « Mais certaines facettes de l’indépendance viennent jeter l’anathème sur ce sentiment puisque jusqu’alors, beaucoup de choses n’ont pas été faites dans divers domaines pour agrémenter cette liberté. Aux vues de ça, le sentiment qui animait la population de Lama-Kara dès le premier jour de l’indépendance n’est pas le même parce que, ce que les gens attendaient avoir après cette indépendance n’est pas du tout ça ».
D’autres personnes interrogées qui ont gardé l’anonymat affirment que les espoirs qu’avait la population de Lama-Kara ont été noyés par des politiciens qui n’ont pas su réaliser le bonheur qu’espérait le peuple Kabyè. Pour eux, cette liberté politique n’est que de façade, presque dans tous les domaines, les actions menées dans le sens de développement surtout économique et politique dépendent toujours de l’apport de l’occident. Elles estiment que la seule indépendance qu’on pourrait avoir se résume en la liberté religieuse où chaque citoyen choisit librement de pratiquer telle ou telle religion.
La liberté d’opinion expliquent ces personnes anonymes n’est pas encore totalement acquise car la population actuelle surtout la jeunesse se demande à quoi bon de célébrer cette indépendance alors que dans les faits, ce n’est qu’une autre réalité. Elles évoquent à titre d’exemple l’utilisation jusqu’à présent de la monnaie des colonisateurs, la langue coloniale et aussi les programmes et projets menés en matière du développement ne sont qu’une photocopie type de l’Europe. Enfin pour ces gens, les populations aujourd’hui, ne jubilent plus comme en 1960 à l’annonce de ce vent de liberté. Cette fougue de joie d’antan à l’approche de la célébration de cette journée immémoriale ne dit plus son nom. La manifestation de cette date est devenue plus politique et folklorique et finalement la population surtout la jeunesse togolaise a compris qu’en réalité l’indépendance du Togo n’est fondée que sur du papier.
Propos recueillis par BOUYO Abedou Kossi