
Par BOULISSATOM Hessoucoma Honoré
Se soigner désormais au Togo dans les structures sanitaires, ne devrait plus être un souci pour tous les Togolais et résidents dès janvier 2024. Le projet d’implémentation d’une Assurance maladie universelle (AMU) initié par les autorités togolaises depuis 2012 est dans sa phase d’opérationnalisation et va s’étendre à toutes les couches sociales dont le secteur informel. C’est quoi l’AMU au Togo ? Que pense les citoyens de la préfecture de la Kozah de cet ambitieux projet voulu par le chef de l’Etat, Faure Gnassingbé et qui sera piloté par l’Institut national d’assurance maladie (INAM) et la Caisse de sécurité sociale (CNSS) ? Comment fonctionnera le système et les stratégies d’actions pour y arriver ? Des éléments de réponse dans ce dossier.
L’AMU, de quoi s’agit-il ?
Selon le chef de département Etudes et Stratégies de l’INAM, Adogli Komigan, l’AMU est une couverture maladie universelle. Elle est un système obligatoire de prise en charge du risque maladie, institué par la loi du 18 octobre 2021 au profit de l’ensemble des Togolais et résidents. Aujourd’hui, l’idée de son implémentation répond à une obligation morale. En effet, dit le chef du département, il n’est pas acceptable que certains membres de la société soient confrontés aux risques à cause de leur état de vulnérabilité. D’où la nécessité du besoin de faire agir la solidarité nationale au sein des communautés pour faire en sorte que par des mécanismes de financement adaptés à la réalité du pays, chaque citoyen puisse vivre en bonne santé et contribuer au développement de la nation.
Opinions des citoyens de la Kozah sur le concept
Des initiatives et actions se multiplient pour rendre effective l’AMU dès le 1er janvier 2024 au Togo. Cette assurance devrait donc permettre aux foyers à faibles revenus d’obtenir le soutien de l’Etat pour leurs problèmes de santé.
Interrogés, de nombreux citoyens adhèrent totalement au projet qui, selon eux, vient aider les populations à se soigner à moindres coûts.
Ayant entendu parler de l’AMU à la radio, Koffi agent de sécurité dans une structure privée de la place a hâte de comprendre concrètement comment le système va fonctionner et les démarches à entreprendre pour se faire enrôler. « Moi aussi je veux être assuré. Il y a des moments où on a des crises soudaines et on est évacué d’urgence. Lorsque la structure sanitaire exige l’argent avant de nous soigner, vous voyez, nous sommes dans le désastre », dit-il.
Cet avis est partagé par M. Tchamdja Benjamin, soudeur de profession qui parle de situation « catastrophique », s’agissant de manque d’argent au moment ses proches tombent malades. « Le problème de manque d’argent est arrivé à plusieurs reprise à ma famille. S’ils étaient assurés, le problème serait résolu », a-t-il confié.
Cette annonce relative à l’effectivité de l’AMU au Togo, a aussi réjoui Mme Passirsènam Tchao, une soixantenaire qui s’exclame en ces termes : « Étendre l’assurance maladie à tout le monde, c’est une très bonne chose à mon avis. Nous n’étions pas impliqués dans cette prise en charge et maintenant que l’extension arrive au secteur informel et même aux personnes vulnérables, nous l’accueillons avec joie ».
Bénéficiaire de l’assurance depuis des années par le truchement de son époux, fonctionnaire public, dame Rébecca Walla, styliste et modéliste à Kara, affirme de vive voix : « J’adhère totalement à ce projet. Moi j’ai fait l’expérience de l’INAM et j’ai vu que c’est une bonne chose. Ça réduit le taux de mortalité. Avec INAM, le coût des prestations et produits est au moins réduit ».
Néanmoins, elle souhaite que les acteurs pensent à revoir l’amélioration technique et organisationnelle du système en général. « Les gens mêmes qui sont dans l’assurance aujourd’hui déplorent le système. Dès qu’il y a urgence, il faut faire face à tout un protocole de formalités. Comment feront nos mamans s’il faut toujours trainer les papiers INAM ? C’est un volet à revoir et si on arrive seulement à adopter une carte INAM « magnétique » qui assure la personne directement, ce serait bien », a ajouté dame Rébecca.
M. Richard Kpéla, un jeune diplômé en économie, pense déjà aux défaillances qui pourront survenir dans la mise en œuvre de l’AMU. Il propose à cet effet, que l’Etat anticipe sur d’éventuels problèmes de bonne gouvernance pour accorder un crédit à ce système, qui au fait, est bénéfique.
D’autres citoyens, tout en approuvant le projet, s’interrogent sur le caractère obligatoire de l’AMU. C’est le cas de M. Tchédré Mazama-Esso, un coiffeur professionnel uniquement pour dames, qui exprime son inquiétude en ce sens, « Vous allez cotiser toute l’année mais si vous n’êtes pas tombés malade votre cotisation est consommée par les autres. Il faudrait faire un truc gagnant-gagnant pour nous les artisans ». Pour lui, au moins 50% des cotisations devaient revenir à tous ceux qui n’auront pas eu des problèmes de santé durant l’année.
Même son de cloche chez Dame Essi, commerçante « Je suis d’accord que l’AMU soit obligatoire. Mais certains assurés se sentiront lésés, dans la mesure où, ils ne seront pas malades pour aller bénéficier des soins sanitaires ».
Toutefois, M. Tchédré et dame Essi, espèrent qu’une meilleure compréhension du fonctionnement du système dissipera leurs doutes.
Comment l’AMU va-t-elle fonctionner concrètement ?
M. Adogli a révélé que ce nouveau dispositif qui est dans sa phase d’opérationnalisation, fixe un panier de soins de référence pour les agents publics et assimilés, les travailleurs du secteur privé formel, les acteurs de l’économie informelle et agricole, ainsi que d’autres personnes vulnérables. Toutefois, relève-t-il, les souscripteurs peuvent également bénéficier d’autres soins complémentaires.« La stratégie qui est adoptée par l’INAM pour servir les agents publics sera maintenue et améliorée pour l’assurance maladie universelle », a-t-il précisé.
Quant aux taux, au montant et aux modalités de recouvrement des cotisations, M. Adogli souligne, que conformément à la loi, les taux des cotisations sociales seront faits en fonction de chaque catégorie de personne. Pour les couches vulnérables, une cotisation mensuelle forfaitaire sera proposée et dont le montant réel sera communiqué plus tard. Des mécanismes seront allégés pour leur permettre de payer de façon échelonnée leurs cotisations, rassure M. Adogli.
Par rapport à l’immatriculation et au recouvrement des cotisations des affiliés, il rappelle que son institution est à pied d’œuvre pour mieux structurer et organiser les adhésions. « En réalité ce qui est prévu par la loi, c’est que l’organisme gestionnaire peut confier des activités aux organismes gestionnaires délégués (communes, chambres de métiers, les mutuelles, les syndicats, les institutions de micro finances, les associations des revendeuses des marchés…). Dans ce projet, la CNSS sera particulièrement mise à contribution. Aujourd’hui, nous sommes aussi en discussion avec certaines microfinances qui vont servir d’interface entre l’INAM, la CNSS et les populations », a-t-il expliqué.
Stratégies pour la réussite d’implémentation de l’AMU au sein des populations
Il faut reconnaître que ce sont les « foyers fonctionnaires publics » seulement qui connaissent mieux le bien-fondé de l’AMU pour avoir fait l’expérience de l’INAM. Cependant la majorité des acteurs de l’économie informelle de la Kozah en particulier n’a pas encore une idée précise sur l’AMU, remarque Mme Walla. Il demeure alors un besoin urgent de communication allant au-delà des simples spots publicitaires dans les masses médias et sur les réseaux sociaux afin que le citoyen lambda soit au parfum de tout, a-t-elle renchéri. « J’exhorte donc les institutions compétentes (INAM et CNSS) à aller vers les artisans, pour bien leur parler de l’AMU afin de les sensibiliser afin qu’ils puissent cotiser régulièrement. La majorité des artisans dépensent souvent tout ce qu’ils gagnent au quotidien sans penser à économiser. Il faut intensifier la sensibilisation autour de la question afin de les amener à comprendre le processus d’enrolement », a suggéré dame Walla.
M. Akoumey Fanoua, secrétaire général de l’association des photographes affiliés à la chambre régionale des métiers de Kara, propose, pour sa part, que les organismes gestionnaires revoient leurs projets de sensibilisation en faisant par exemple, des regroupements par corps de métier au sein du secteur informel pour élargir davantage l’information sur l’AMU, afin d’amener les gens à mieux s’intéresser à ce riche programme.
Selon M. Baranro Koffi, sociologue de formation, l’Etat devrait d’ores et déjà penser à investir dans l’éducation de la population sur le bien-fondé de l’assurance maladie. Ainsi, il pourrait instaurer des modules qui inculquent dès le bas âge les notions d’assurance maladie sans toutefois oublier de créer des cours spéciaux dans les universités et grandes écoles. Autre aspect à prendre compte ajoute-t-il, est la mise à contribution des ONG locales pour sensibiliser les communautés rurales sur ce cette notion de solidarité de prévoyance.
Créer aussi des cellules d’information au sein des formations sanitaires, des pharmacies, et même des potentiels organismes gestionnaires délégués avec lesquels l’INAM compte collaborer ne serait-il pas aussi important pour mieux préparer et éduquer les populations sur le système et faciliter leur adhésion ?