Par AMEKOUVO Akouétey
Payer les impôts et taxes, est un acte citoyen qui ne fait pas partie du reflexe des contribuables togolais. A côté des contribuables « récalcitrants » qui semble ignorer l’importance de cette mobilisation locale des ressources, d’autres font acte de bonne foi. De l’informel au formel, une communication audacieuse urge pour faire comprendre aux citoyens que les impôts et taxes participent au développement local.
« L’impôt payé à l’OTR, je ne sais pas à quoi ça sert exactement mais je sais que dans un pays, il faut payer les taxes quand tu exerces une activité. Je ne me préoccupe pas de ce fonds qui ne représente pas grande chose pour construire des routes par exemple », confie dans un entretien Garba Saidou, propriétaire de la quincaillerie « Ets Barga » à Tabligbo (commune Yoto 1), une ville à 80 km au nord-est de Lomé. Sa boutique, spécialisée dans la vente de matériaux de construction, est située au grand rond-point de la ville, à quelques mètres des bureaux de la préfecture de Yoto, une localité essentiellement agricole où les entrepreneurs opèrent généralement dans l’informel.
Contrairement à M. Saidou, Mme Akouéley Gbessaya, revendeuse de condiments et de pâtes alimentaires à l’ancien marché de la ville qui s’anime tous les jours, reconnait que les taxes permettent de construire des marchés et de réaménager des voies de la commune. « Je paie un ticket de 100 F CFA par jour à la mairie », dit-elle tandis que M. Saidou refuse de communiquer le montant de sa taxe : « Je paie par an mon impôt, mais je ne peux pas vous donner le montant ».
La réticence des contribuables
A l’exception de quelques grandes entreprises, ils sont nombreux ces contribuables qui mettent en difficulté les agents percepteurs des taxes. « Les contribuables nous insultent, la fuite, la récalcitrante, il y a l’incivisme fiscal sur le terrain », dénonce Jules Akakpovi, responsable recouvrement de la commune Yoto 1.
« Les difficultés rencontrées sont énormes, les contribuables ne veulent pas payer car ils disent depuis qu’ils font ça, rien ne se fait à leur égard, d’autres carrément fuient les agents de la mairie et des impôts », renchérit Djamessi Kokouvi, conseiller municipal à Agoè-nyivé 4.
Le 3ème maire adjoint de la commune de Tchaoudjo1, Tchédré Soulemane, revient également sur la réticence des contribuables et d’autres causes. « Pour certains, c’est la méconnaissance de leur devoir vis-à-vis de la mairie. Pour d’autres, depuis qu’on collecte l’argent, qu’est-ce que la mairie fait pour eux ? La question de délégation spéciale qui a duré longtemps dans le pays, explique en partie la réticence des populations à s’acquitter du payement des taxes communales », explique M. Tchédré à un correspondant de l’Agence togolaise de presse.
La peur ou le refus de payer les taxes communales tire sa source de plusieurs facteurs notamment la méconnaissance de l’importance des impôts et taxes dans le développement local.
L’impôt, un élément de régulation et de stabilisation de l’économie
Le constant est évident. Les pays les plus riches en ressources au monde sont obligés de lever les impôts, qui, d’après le chef cellule fiscalité directe et indirecte de l’Unité de politique fiscale (UPF), Palakassi Pignan Gnansa, est non seulement un élément de régulation, de relance de l’économie mais aussi de stabilisation de l’économie.
L’impôt joue alors un rôle économique, budgétaire et social. Au plan économique, indique M. Pignan « l’impôt est utilisé pour attirer les investissements. Par exemple dans un pays, on peut faire des lois ou des textes qui encouragent l’investissement et favorisent, entre autres, la construction des ponts, des routes, l’aéroport, bref ce qui permet de booster le développement ».
Au niveau social, l’impôt est utilisé pour encourager ou soutenir les populations les plus pauvres ou vulnérables. « On peut faire l’impôt de telle sorte que les riches soient plus taxés que les pauvres ou même créer des couches qui sont pratiquement hors de la taxation, c’est-à-dire exonérer des impôts », souligne le chef cellule fiscalité directe et indirecte.
Au plan budgétaire ou financier, l’impôt permet de faire les politiques d’exonération pour encourager les investissements. « C’est grâce à cet argent levé qu’on parle de la rémunération des fonctionnaires et ces corolaires, c’est toujours le rôle budgétaire de l’impôt qui permet d’atteindre ces objectifs », précise M. Pignan.
Ressources fiscales et réalisations locales
Dans la commune de Tchaoudjo1 (région Centrale), M. Tchédré affirme que les fonds collectés servent à assurer les dépenses de fonctionnement et d’investissement. En 2021, les recettes s’élevaient à 149.046.806 F contre une prévision de près 186.000.000 F CFA, soit 81% de réalisation. Ces recettes ont permis à la commune d’honorer certains de leurs engagements. « Les centres de santé au niveau de nos cantons ont été dotés de réfrigérateurs pour leur permettre de conserver les réactifs et matériels médicaux. L’installation du système solaire dans 5 centres de santé du canton et au CHR, permettant de réduire la facture de la CEET à plus de 3 millions par mois. Certains établissements scolaires (EPP Lombo, Akamadè) dont le toit a été emporté par le vent ont été réhabilité avec les fonds de la mairie et 220 tables-bancs fabriqués pour des établissements scolaires du primaire » sont, entre autres, quelques réalisations de la mairie d’après M. Tchédré. Ce dernier reconnaît que les investissements réalisés ne sont pas faits uniquement à base des fonds propres collectés, « il y a des fonds externes, des fonds de l’Etat et les financements des partenaires extérieures ».
A Agoè-nyivé 4, souligne M. Djamessi, les fonds collectés via les taxes servent à aménager les voies de la commune, à construire des bâtiments scolaires, des centres sanitaires, à assurer l’éclairage public et même à payer le personnel de la mairie. Cette commune a collecté comme taxes l’année passée 38.578.000 F CFA.
Dans la commune Yoto 1, l’année écoulée, rappelle le responsable de recouvrement, « nous avons réaménagé la voie de l’ancien marché jusqu’à Doudava et celle donnant accès au nouveau marché. La mairie a aussi fabriqué des table-bancs aux établissements ». Les tentatives pour recevoir les fonds collectés en 2021 sont restées infructueuses.
M. Akakpovi a rappelé que la mairie de la commune Yoto 1 perçoit auprès de la population plusieurs taxes. Dans les marchés, les droits de place, les tickets de stockage de marchandises, les tickets de sortie de produits domaniaux, les tickets de stationnement, les tickets de carrière, les tickets pour les taxi-motos, la redevance pour l’occupation de domaine public et la taxe sur publicité.
Consentement volontaire, transparence, redevabilité
L’incivisme fiscal est une réalité au Togo, regrette l’inspecteur des impôts. M. Pignan appelle à l’objectivité : « Quand les gens se rendront compte que c’est grâce à leur contribution volontaire que des actions sont faites, ça rehaussera le niveau de consentement des populations à l’impôt ». Et à M. Tchédré d’ajouter « la mairie ne pourra réaliser les projets qu’à partir de ces fonds, ça ne viendra de nulle part, c’est nous même qui allons faire développer nos communautés ».
« Vivement que nos frères et sœurs puissent essayer de comprendre l’importance de l’impôt. Également que les mairies puissent jouer leur rôle à travers la réédition des comptes, la redevabilité et aussi la transparence dans la gestion pour permettre aux uns et aux autres de pouvoir consentir volontairement à l’impôt afin de mobiliser suffisamment de ressources pour amorcer notre développement », une interpellation de M. Pignan aux citoyens et élus locaux des 117 communes du pays.