Par Michel KPEMISSI
La culture du maïs se fait dans presque toutes les préfectures du Togo. Mais parfois les paysans réalisent des faibles rendements à cause de certains insectes ou maladies qui attaquent le maïs en pleine croissance et d’autres qui font des ravages post-récolte. Parmi ces maladies, la plus répandue est la chenille légionnaire d’automne (CLA). Selon les statistiques officielles sur la seule campagne agricole 2018-2019, 160. 581,5 hectares de maïs ont été attaqués par cette chenille, soit 53,8% des emblavures de maïs.
Quelles sont les dispositions à prendre pour une culture de maïs réussie ? Quelles sont les maladies qui peuvent attaquer un champ de maïs ? Comment les combattre ? Que fait le gouvernement pour contrer la CLA ?
Selon le directeur régional de l’Institut de conseil et d’appui technique (ICAT)-Centrale, Issifou Amadou, le paysan, pour réussir la culture du maïs doit prendre certaines dispositions. Ce dernier, dit-il, doit bien choisir le site (non inondable, pas de bas fond, non ombragé), disposer des intrants de qualité : semences améliorées et certifiées, quantité d’engrais (NPK, urée et mycotri). Le paysan est tenu également de bien labourer son champ et préparer le lit de semences, faire le semis à la bonne date, respecter l’itinéraire technique de la production de maïs (densité de semis, entretiens culturaux, récolte).
Les maladies et les ravageurs de la culture du maïs
D’après M. Issifou, la culture du maïs est sujette à de nombreuses attaques parasitaires. Parmi ces maladies, on note, entre autres l’helminthosporiose, le charbon, la rouille et les viroses à stries que les agronomes appellent communément « steak ». Au rang des ravageurs, l’ingénieur agronome a mentionné le striga hermontica (mauvaise herbe), les criquets pèlerins (surtout en Afrique saharienne) et la chenille légionnaire d’automne (CLA) qui constitue actuellement le ravageur émergent et principal de la culture du maïs. Pour les ravageurs post-récolte, il a énuméré, entre autres, le grand capucin et le charançon qui surgissent lors du mauvais stockage et de la mauvaise conservation.
A l’en croire, toutes ces maladies et tous ces ravageurs causent des dommages et dégâts importants à la culture du maïs. Ils diminuent ainsi la production et réduisent les revenus de nos braves producteurs, a-t-il précisé. Pour lui, fort de ces conséquences, il est nécessaire de rechercher les solutions idoines à ces maladies et ravageurs.
M. Agoro Moustapha, un vieil agriculteur rencontré dans le canton d’Agouloudè, à 35 km à l’est de Sokodé, témoigne : « En 2018, j’ai fait un champ de deux hectares. Lorsque les plantes étaient en pleine croissance, j’ai constaté des déchirures sur les feuilles et ça allait en s’agrandissant. Rapidement j’ai contacté les conseillers agricoles de l’ICAT qui se sont déplacés dans mon champ. Après les constats, ils m’ont dit que c’est la chenille légendaire d’automne. Heureusement, suite à leurs conseils et appuis en matériels j’ai pu éloigner ce ravageur de mon champ. Vraiment je remercie le gouvernement à travers l’ICAT car sans leur intervention et aide je n’allais rien récolter et comment j’allais rembourser le crédit contacté pour mon exploitation ? ».
Mme Tchagodomou Salimatou, une paysanne du canton d’Amaïdè, à 25 km de Sokodé, dit garder un triste souvenir de ces insectes. « Après avoir récolté mes maïs et haricot, je les ai stockés sans traitement dans les sacs que j’ai déposé dans un magasin pas très aéré, à même le sol et contre les murs. Après une période j’ai constaté l’apparition des charançons qui ont commencé à dévorer mes graines. J’ai fait appel aux conseillers agricoles qui m’ont aidé à sauver l’essentiel ».
Comme eux, de nombreux producteurs avec qui nous avons échangé ont témoigné avoir été une fois victimes de ces ravageurs.
Comment les combattre ?
Pour lutter contre l’helminthosporiose, la rouille, le charbon et les viroses à stries, M. Issifou recommande d’utiliser des variétés améliorées, d’éviter les semis tardifs et de pratiquer la rotation des cultures. Il a précisé que pour cette lutte, l’Institut Togolais de Recherche Agronomique (ITRA) a mis en place des variétés résistantes et tolérantes. M. Issifou a fait savoir que ces semences améliorées et certifiées sont disponibles au niveau des multiplicateurs de semences agrées dans les villes et villages. Il informe que les producteurs peuvent solliciter l’appui des conseillers agricoles de leur village et hameaux respectifs pour le choix et l’achat de ses semences. Le directeur régional de l’ICAT a remercié le gouvernent pour le déploiement des agents d’appui conseil dans tous les cantons et hameaux, malgré le contexte actuel difficile. M. Issifou a rappelé que pour les producteurs disposant de smartphone, ils peuvent utiliser l’application e-Agri conseil plus téléchargeable avec Play store.
S’agissant du combat contre le striga, le directeur régional de l’ICAT conseille aux producteurs d’utiliser les variétés tolérantes en association ou en rotation avec les légumineuses à graines (soja, niébé, arachide). Il demande également aux paysans d’arracher les plants de Striga sur les parcelles avant leur floraison.
Pour l’éradication du grand capucin et le charançon, l’ingénieur agronome invite les producteurs à éviter les récoltes tardives, à égrener les épis à la récolte, à faire le traitement avec les produits homologués. Il les appelle également à stocker les grains traités dans les sacs de jute dans un magasin bien aéré et à éviter de disposer les sacs à même le sol ou contre le mur.
M. Issifou a fait savoir que la CLA, un insecte qui détruit les principales cultures vivrières, est originaire des régions tropicales et subtropicales des Amériques. Il a dit qu’il s’attaque de préférence au maïs, mais peut se nourrir de plus de 80 espèces de cultures, notamment le riz, le sorgho, le millet, la canne à sucre, les cultures maraîchères et le coton. La CLA a été détectée pour la première fois en Afrique Centrale et en Afrique de l’Ouest début 2016 et s’est propagée rapidement dans pratiquement toute l’Afrique subsaharienne.
Le directeur régional a souligné que le combat contre la CLA commence par sa reconnaissance à travers sa morphologie, sa biologie et son écologie. Pour lui, dans cette lutte aussi, les conseillers agricoles peuvent être sollicités. A l’entendre, plusieurs techniques existent pour combattre efficacement cette chenille. Il a cité la lutte mécanique (la surveillance des infestations au champ), la lutte culturale, la lutte chimique et la lutte biologique.
Pour la surveillance des infestations au champ, le directeur régional de l’ICAT recommande aux paysans d’écraser les masses d’œufs et les jeunes larves ou de ramasser les larves et les donner aux volailles. Il conseille également pendant le stade végétatif, de visiter le champ 2 fois par semaine et aux stades ultérieurs, de visiter le champ une fois par semaine ou chaque 2 semaines.
Pour éviter l’attaque de cette chenille, M. Issifou insiste sur l’utilisation des semailles précoces ou faire la plantation de variétés précoces, la pratique de la culture mixte (avec les légumineuses, du manioc, etc.) et des rotations avec les cultures non hôtes (plantes à tubercules, etc.). Il préconise également un sarclage régulier du champ et des alentours ; l’application des doses recommandées de fertilisants ; la destruction des plantes hôtes alternatives aux alentours des champs ; la destruction des résidus de récolte. L’ingénieur agronome demande aussi aux producteurs de semer les plantes pièges et de faire des labours profonds ou irriguer les plants pour détruire les chrysalides dans le sol.
Lutte chimique
D’après le directeur régional de l’ICAT, la lutte chimique est souvent la première intervention des producteurs. Cependant, dit-il, les insecticides doivent être utilisés lorsque cela est nécessaire. Pour cela, il recommande de surveiller régulièrement le champ en observant les infestations des plants et les dégâts causés par la CLA selon le protocole de l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). « Ainsi lorsque les pourcentages d’infestation pendant les phases phénologiques du maïs, de l’émergence de la plantule jusqu’à l’initiation florale mâle atteignent une moyenne de 20% (10%-30%) ; et compte tenu du mode de vie du ravageur, les traitements des parcelles doivent se faire de préférence tard le soir et en prenant soin d’orienter la buse vers l’entonnoir ou le verticille des plants », explique-t-il. Il a rappelé la méthode « W » d’échantillonnage aux champs et notamment l’utilisation de l’application FAMEWS de la FAO (10 plants x 5), qui permet de savoir la dynamique de la population du ravageur, pour ainsi déterminer le seuil d’action et prendre des décisions informées pour la gestion de la CLA.
S’agissant de l’utilisation des biopesticides, M. Issifou a expliqué que l’on peut également utiliser des extraits des végétaux (feuilles ou graines de neem, huile ou poudre de grains de neem à 5% et autres plantes insecticides), autres produits locaux (cendre, sable, sciures dans les verticilles). Il prévient que le traitement au cours de la phase phénologique reproductive est inefficace et non rentable. Il ajoute que chaque fois que l’on utilise les pesticides, il faut que le traiteur porte son EPI (Equipements de Protection Individuelle) et suive les instructions relatives aux doses, période d’application et aux temps d’attente avant l’entrée dans le champ. D’après l’ingénieur agronome, compte tenu du coût élevé des mesures de protection à respecter par chaque producteur en cas de traitement à faire dans son champ, il serait souhaitable pour ceux qui le désirent, de s’adresser aux jeunes entrepreneurs spécialisés dans la prestation de service de traitement phytosanitaire des parcelles ou à des brigades villageoises existant dans leurs zones.
Lutte biologique
Le directeur régional de l’ICAT relève qu’il existe une diversité d’agents de lutte biologique dans la zone d’origine du bio agresseur et probablement au Togo. Il explique que, l’important est de sélectionner des agents de lutte biologique appropriés sur la base des évaluations bioécologiques pour leur utilisation au Togo. De plus, dit-il, les études doivent être conduites pour identifier les agents de lutte contre Spodoptera frugiperda (le Légionnaire d’automne ou la Noctuelle américaine du maïs) au Togo pour éviter d’importer des agents déjà présents. Il signale que la lutte biologique classique par le lâcher des organismes bénéficiaires est du recours des structures étatiques de recherche.
M.Issifou met l’accent sur l’utilisation des pièges à phéromones pour détecter la présence de l’insecte. « Les premières captures des adultes de la noctuelle indiquent que l’oviposition (acte pour une femelle de pondre et de placer ses œufs dans un endroit particulier pour favoriser l’éclosion) du ravageur est imminente », précise-t-il. Il conseille aux paysans d’éviter l’utilisation des pesticides lorsque qu’ils utilisent des parasitoïdes ou d’éviter de lâcher ces ennemis naturels dans les milieux pollués par les pesticides. Il préconise plutôt de faire des lâchers dans les plantes hôtes alternatives.
Le gouvernement togolais en guerre contre la CLA
Le Togo n’a pas été épargné des attaques de la CLA, à l’instar de la plupart des pays de l’Afrique. Cependant, des efforts ont été faits pour préserver la sécurité alimentaire alors que, selon des statistiques, 160. 581,5 hectares de maïs ont été attaqués durant la seule campagne agricole 2018-2019, soit 53,8% des emblavures de maïs.
Selon le ministère en charge de l’Agriculture, depuis l’apparition de la CLA au Togo en 2016, le département à travers la direction de la protection des végétaux en collaboration avec certaines structures en occurrence l’ICAT, l’ITRA et les directions régionales de l’agriculture, s’est engagé dans une véritable lutte contre ce ravageur, grâce aux appuis financier de l’Etat togolais et de ses partenaires comme la FAO, BAD, IITA (Institut international d’agriculture tropicale).
Ces appuis ont permis d’acquérir des insecticides, des équipements de traitement et de protection individuel, de former plusieurs acteurs dont des producteurs et des techniciens ; d’organiser des rencontres de partage d’informations entre tous les acteurs impliqués dans la gestion de ce ravageur. Ils ont également permis d’évaluer les attaques sur le maïs et obtenir la perception des producteurs sur le ravageur et recruter deux consultants chargés d’appuyer la gestion du ravageur.
Par ailleurs, des missions avaient été effectuées sur le terrain en vue d’appuyer les producteurs, surtout ceux des ZAAP, affectés par les attaques de la CLA. Un appui des partenaires dont la Banque Africaine de Développement (BAD) et l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) ont été octroyé au Togo.
La culture du maïs au Togo est sujette à des attaques des ravageurs dont la CLA. Pour obtenir de bonnes récoltes, une lutte intégrée est recommandée par les experts pour réduire les infestations de ces ravageurs. Il est préconisé une surveillance continuelle des champs ; des recherches précoces des amas d’œufs et des symptômes ; une intervention dès l’apparition des premiers symptômes. Les experts appellent également les producteurs à éviter les associations avec des champs des plantes hôtes (poacées, coton, tomate et autres) et à mettre autour des champs des plantes pièges et/ou des plantes répulsives. Il est aussi conseillé la formation et la sensibilisation des producteurs sur l’utilisation des pesticides chimiques. Il existe dans chaque canton au Togo, un conseiller agricole, les producteurs sont invités à s’approcher d’eux ou des services techniques de l’agriculture pour d’amples informations pour réussir leur culture avec un bon rendement.